Chine : Vers une répression accrue du christianisme sur fond de retour à l’identité traditionnelle chinoise
La Chine se dirige vers la politique de répression religieuse la plus sévère depuis 40 ans et la fin de la Révolution culturelle de Mao. L’homme fort du régime, Xi Jinping, a décidé de durcir la répression frappant les minorités non traditionnelles et les séparatistes ouïghours et tibétains. Le Royaume-Uni a demandé à Pékin, devant le Comité des droits de l’homme de l’Onu, de revenir sur la nouvelle règlementation en matière de liberté de religion et de croyance et quant aux médias et organisations non gouvernementales. Le pays pourrait devenir celui comptant le plus de chrétiens en 2030, devant les États-Unis, ce qui inquiète le Président Xi, soucieux de revenir à une certaine identité chinoise traditionnelle.
Début septembre dernier, l’ONG China Aid s’alarmait face au projet présenté devant le Conseil des affaires de l’État qui prévoyait de durcir la législation sur les questions religieuses, devant être validé après le 7 octobre, date jusqu’à laquelle il était possible de l’amender. Environ tous les dix ans, le Règlement des affaires religieuses est révisé, cette année les autorités ont décidé de racornir la situation des communautés religieuses non enregistrées. Le but de la nouvelle politique est de supprimer toutes les activités religieuses non enregistrées en dispersant les chrétiens des églises non officielles, de réduire au silence les séparatistes du Tibet et musulmans ouïghours du Xinjiang et de saper l’influence du Vatican sur les catholiques chinois. Désormais adoptée, la nouvelle règlementation permet à Xi de justifier légalement la répression qu’il accroît particulièrement depuis un an.
Le nouveau texte prévoit ainsi dans le premier point de son article 20 que, pour être autorisés, les cultes locaux doivent remplir diverses conditions dont l’examen montre de suite qu’il s’agit de critères destinés non pas à protéger la liberté religieuse, mais à la rabougrir. Cet article dispose que l’une des conditions est de ne pas être en porte-à-faux avec les articles 4 et 5 qui posent respectivement le principe que les cultes doivent respecter l’harmonie et l’unité sociale, ne sauraient mettre en danger la sécurité nationale (article 4), ou encore ne pas être contrôlés par des puissances étrangères (article 5). Sont visés les catholiques des églises clandestines liées au Vatican ou les protestants non enregistrés supposés être inféodés à l’Occident, particulièrement aux États-Unis, mais encore les séparatistes musulmans du Xinjiang et les bouddhistes tibétains ou les taoïstes libres.
En son deuxième point, l’article 20 dispose que l’autorisation nécessite que les citoyens croyants locaux aient besoin de se réunir régulièrement pour leurs activités religieuses collectives ; or, en dispersant les chrétiens des églises de maison, les autorités créent une situation artificielle et officielle de non-besoin de regroupement puisqu’il n’y a alors pas de communauté locale. L’article 36 exige une accréditation officielle pour exercer un ministère religieux. Les croyants ne peuvent donc vivre collectivement leur foi s’ils ne sont affiliés à une « association religieuse patriotique » qui leur transmet les orientation et consignes de l’État-parti, donc contrôlés par les autorités, toute contravention à ce critère étant réprimée. Les personnes qui hébergent des cultes clandestins sont passibles de fortes amendes.
Un accroissement de la répression déjà engagé au niveau local
De manière parallèle au processus d’adoption de ce nouveau règlement, les autorités de la province centrale du Henan avaient préparé la répression en quatre étapes après avoir tenu une réunion, le 31 août, pour discuter de la manière de contrer la progression du christianisme dans le pays. Le but affiché était de protéger les personnes participant à des rencontres religieuses autorisées des églises « illégales », afin de maintenir, au-delà, la stabilité et l’ordre sur le plan religieux. Du 4 au 5 septembre, les différents services concernés des autorités administratives soumises au gouvernement local ont dû identifier les églises de maison catholiques et protestantes et soumettre chacun une liste de ces communautés à son supérieur hiérarchique. Du 5 au 16, les services ad hoc des villages et sous-districts ont assisté les bureaux des affaires religieuses en émettant des avis aux églises listées, exigeant de rapides modifications. Entretemps, à partir du 11, et ce jusqu’au 30, le gouvernement local a commencé à clore toutes les églises qui avaient déjà refusé de se conformer aux ordres. Enfin, entre les 1er et le 15 octobre, les responsables ont rédigé leur taux de réussite qui comptera pour l’évaluation à laquelle ils seront soumis en fin d’année. Ailleurs, dans la province orientale du Zhejiang, plus de 1 200 croix ont été abattues du toit des églises depuis 2014.
Cette nouvelle législation a été préparée et adoptée alors que, depuis juin 2014, les délégations de Pékin et du Saint-Siège se sont rencontrées au moins six fois sur le thème de la normalisation de l’état de l’église catholique en Chine, notamment quant à la reconnaissance des communautés clandestines. Face à la croissance du christianisme en Chine, les autorités tiennent à contrôler au maximum les croyants, par les négociations et la répression. En 2030, il devrait y avoir davantage de chrétiens en Chine que dans les grands pays américains officiellement les plus peuplés de chrétiens que sont les États-Unis, le Mexique et le Brésil. Selon le Professeur Yang, un spécialiste des religions en Chine, il y aura 247 millions de chrétiens, toutes dénominations confondues, à l’orée de 2030. Dès 2025, les protestants seront au nombre de 160 millions, au rythme de croissance actuel, alors que les États-Unis en comptaient autant, mais en 2010 et tandis que ce nombre est en baisse. La Chine serait alors le pays avec la plus grande communauté chrétienne au monde. De quoi déranger le Président Xi Jinping, ardent défenseur d’une combinaison de la tradition culturelle et du communisme mâtiné de capitalisme.
Xi Jinping et le Grand Bond en arrière : la valorisation des philosophies estampillées « chinoises »
Entre 1949, année de la prise du pouvoir par les communistes, et la Révolution culturelle de Mao lancée en 1966, le régime respectait les traditions, fier même de montrer à l’Occident que la Chine après son propre savoir médical. D’abord pétri de fierté pour la culture chinoise traditionnelle, Mao Zedong la prend pour cible après l’échec du « Grand Bond en avant » censé permettre au pays de rattraper économiquement le Royaume-Uni en quinze ans, à partir de 1958, et qui fit des millions de morts dont le nombre est à ce jour toujours incertain, allant de 15 à 55 millions. C’est là pour lui le moyen de reprendre le contrôle après avoir été écarté. Il s’en prend aux Quatre vieilleries, parmi lesquelles la vieille culture ; et les slogans dénoncent, en plus de ces Quatre vieilles choses, l’impérialisme, Jésus ou encore les religions étrangères. Entre 1974 et 1976, la pensée de Confucius est la cible des autorités. Depuis le début des années 1990, le régime essaie de restaurer en partie ce qui avait été détruit jusqu’en 1976, année de la mort du Grand Timonier Mao, surtout les sites culturels.
Les autorités tentent de concilier une partie de l’héritage historique avec le contrôle de l’État-parti. C’est ainsi que dans un premier temps, le falun gong qui fait renaître, une pratique présente dès l’Antiquité chinoise, est d’abord accueilli avec bienveillance jusqu’à ce qu’il refuse la mainmise du Parti communiste. L’actuel dirigeant, Xi Jinping, a pour souci de restaurer une identité chinoise, et, dans cette veine, il semble progressivement changer l’approche du Parti envers le falun gong, dont les adeptes ont subi une indicible répression sous l’autorité de Jian Zeming, et il modifie également la façon d’aborder le fait religieux en général, au profit des traditions chinoises. C’est ainsi que, contrairement à Jian qui avait affirmé que les « religions déviées » devaient être supprimées, Xi ne parle pas de mauvais tropisme, mais d’identité.
Lors d’une conférence sur les religions, les 22 et 23 avril dernier, l’actuel chef de l’État et du Parti communiste a exprimé l’idée que les enseignements religieux sont utiles, qu’ils peuvent « enrichir » la société, mais doivent être « harmonisés » avec la culture chinoise. Cependant le nouveau timonier a appelé à « rester en garde résolument contre les infiltrations étrangères par voie religieuse ». Ce disant, il a réitéré la position officielle du Parti, mais en préparant une retour vers une répression accentuée qu’il faut probablement resituer en partie dans le contexte de tensions internationales avec la crainte d’éventuelles manipulations occidentales, tout en considérant sa volonté de promouvoir une certaine identité traditionnelle.
Xi, qui parle en termes élogieux du bouddhisme dont il reconnaît ouvertement l’importance dans la culture chinoise, tranche ainsi avec le Parti. Plus encore quand il affirme que sa mère pratique le bouddhisme tibétain. Mais, surtout, le chef du régime fait la promotion d’une culture antérieure au bouddhisme, le confucianisme. Contesté au sein du Parti pour son autoritarisme, Xi Jinping vise sa réélection l’an prochain, et il lui faut trouver une figure tutélaire pour réaliser une certaine unité autour de sa personne. Confucius est le candidat tout désigné, à son défunt corps défendant, après que sa philosophie a été violemment attaquée durant la Révolution culturelle. Un bond en arrière qui serait légitime dans la défense de l’identité chinoise s’il ne se faisait pas également contre la liberté religieuse.
La doctrine du maître Kong, mise de côté dans l’administration avec la fin de l’Empire en 1911, puis devenue non obligatoire dans l’enseignement à partir de 1949 avant d’être la cible de Mao, est aussi politique, elle propose des pistes de gouvernement vertueux et d’harmonie sociale. Le nouveau Règlement des affaires religieuses mentionne largement, comme la littérature politique antérieure, l’harmonie sociale, dans un sens revisité en lorgnant du côté de Confucius. Alors que se développent les écoles chrétiennes en Chine, largement hors même de toute affiliation avec des communautés religieuses, et organisées par des parents, ce qui les place dans le viseur de la nouvelle législation, proposer au peuple de revenir à celui qui est considéré comme le premier éducateur de la Chine, c’est aussi concurrencer le christianisme, quand même bien ce sont les jésuites qui firent connaître le vieux maître en Occident.
Hans-Søren Dag